MATEI NEGREANU
SCULPTER LA LUMIÈRE PAR LE VERRE
"En ces temps obscurs du début des années 80, où l'art du verre, en France, renaissait à peine, essentiellement sous la forme soufflée, lui se singularise et, faute de moyens, va inaugurer une série de pièces à partir de feuilles de verre plat industriel. Le public y voit des "vagues" (à l'âme ?) quand lui, calligraphe, trace librement des signes organiques, tri-dimentionnels dans l'espace et forge, avec force, économie et en dehors des sentiers battus, un alphabet personnel, un vocabulaire idiosyncrasique d'élégantes et sensuelles volutes hyalines."
Jean-Pierre Umbdenstock - 2007
"J'essaie toujours de faire ce que je ne sais pas faire, c'est ainsi que j'espère apprendre à le faire"
DEUX VIES
Cette citation de Pablo Picasso a toujours inspiré et guidé Matei Negreanu dans sa vie d'artiste.
Negreanu a deux vies. Celle d'avant 1981, en Roumanie, participe un peu à sa légende. Entre les évanescences de la mémoire et le refus d'un discours attendu sur les pays de l'Est, Matei Negreanu reconnait que cette histoire là, qui n'appartient qu'à lui, est ce qui fonde l'originalité de son travail.
A son arrivée en France, Matei Negreanu n'a aucune idée de son avenir. Il a quarante ans, demande l'asile politique et n'a pas de référence à montrer, puisque tout est resté en Roumanie.
Malgré tout, il ne lui faudra guère plus de trois ans pour s'imposer sur la scène artistique du verre, en pleine éclosion au début des années quatre-vingt.
"Quitter c'est renaître, se retrouver sans une seule de ses oeuvres, définitivement abandonnées. C'est un seisme "
EXIL
L'exil, c'est d'abord un voyage, Bucarest-Paris en train, quarante heures parsemées de sommeils inconfortables, de tabagies militaires et de conversations avec un vieil intellectuel de Bucarest. Après l'abstinence, l'absence de tout superflu des magasins de l'Est, voici l'abondance des états occidentaux. Après les désordres d'un pays à l'agriculture pourtant riche, il voit la rigueur des sillons autrichiens.
Ce sont des images qui marquent. Il en gardera le goût pour l'abondance, la couleur et l'ordre.
Impressions fugitives, sentiments durables.
Premières sensations d'une nouvelle carrière. Pour un artiste quadragénaire, quitter c'est renaître, se retrouver tout nu, sans une seule de ses œuvres, définitivement abandonnées. C'est un séisme.
UNE SINGULARITÉ
Ses sculptures, mélange de bois, de verre et de plomb, sont d'une alchimie qui fait d'autant plus plaisir à voir qu'elle n'appartient qu'à lui.
Harry Bellet, Le Monde, 1998
"Le plus important, c'est le voyage vers un autre monde, vers d'autres mondes"
VOYAGE
Celui de l'industrie par exemple. Une amie roumaine lui a présenté le directeur de l'usine de verre de Porcieux. A quarante ans, sans rien a montrer, il faut beaucoup de conviction pour persuader un chef d'entreprise de vous laisser faire vos preuves. Il les fera. Un an plus tard, la faillite de la fabrique convaincra Negreanu de la nécéssité de se battre pied à pied pour survivre dans un monde compétitif. Même pour l'art, surtout pour l'art.
Voyage vers le théâtre, court. Au Théâtre de la ville, il sera l'assistant décorateur pour les "Bas-Fonds" montés par Lucian Pintillé.
Rencontres, contacts, derniers conseils des compatriotes qui s'éloignent inexorablement au fur et à mesure que Matei s'intègre à d'autres cercles.
"Celui qui travaille le verre, est obligatoirement confronté à l'aléatoire"
EXPLORATIONS
Autre voyage, autour de sa chambre. Après la faillite de l'usine de Porcieux, Negreanu n'avait plus d'endroit pour travailler. Le verre est un matériau encombrant, fragile, délicat. Il nécéssite des outils volumineux et coûteux. Alors dans sa chambre, il invente la technique des lamelles collées.
Du verre à vitre découpé en multiples morceaux identiques, assemblés, sculptés et enfin sablés. Ce sera le début d'une longue série d'ailes et vagues qui imposeront son talent et qui donneront l'impulsion décisive à sa notoriété.
Clara Scremini le remarque. La galeriste de la rue des Filles du Calvaire est la première à s'intéresser à ce travail nouveau et original. D'emblée, elle lui propose une exposition personnelle en Septembre 1989. Une date clé, celle de l'éclosion, de la reconnaissance.
Critiques, presse spécialisée. Puis l'œuvre touche le grand public à travers des articles dans la presse nationale, des reportages à la télévision et le premier salon "Découvertes". La suite du parcours est fléchée : Amsterdam, Francfort, New-York, Chicago, Toronto, Sapporo. La ligne brisée, sur une carte géographique, des lieux ou l'art vit, se vend, s'évalue et s'apprécie.
APPROCHE ARTISTIQUE
A l'exception de la pâte de verre, Matei Negreanu a exploité tous les états du verre, la substance même de sa sculpture. Il lui fait subir les traitements les plus variés : collage aux ultra-violets, découpe à la scie, fracture à la masse, obstruction au plomb. Ces recherches et mises en forme sont le résultat d'une épreuve de force engagée il y a longtemps entre le verre et l'artiste. Negreanu a en effet cette double exigence de ne pas vouloir succomber aux sortilèges du verre "matériau flatteur souvent trompeur", et de ne pas se priver de sa beauté. Sur cette étroite ligne de partage, il trace son chemin avec obstination. Et s'il y a chez lui un refus que le seul statut acceptable pour un sculpteur, celui d'une matière première.
Matei Negreanu